Le poème Liberté, de Paul Eluard, composé de 21 quatrains, a été parachuté en plusieurs milliers d’exemplaires par les avions britanniques de la Royal Air Force au-dessus du sol français, en 1942, en même temps que des armes et des munitions.
C’est à ce parachutage que ces poèmes de la Victoire et de la Résistance souhaitent revenir, parce que la poésie est un acte politique majeur. Dès 1943, depuis Alger, le Général De Gaulle rendait hommage aux écrivains et poètes de la Résistance, dans un discours à l’Alliance française intitulé « Clairvoyance de la pensée française ». Le 17 mai 2009, alors que Nicolas Sarkozy avait honteusement instrumentalisé un haut lieu de la Résistance, le clairvoyant Stéphane Hessel était donc monté aux Glières pour prononcer un discours d’indignation décisif, qui a donné lieu au livre que l’on sait : Indignez-vous ! Dans ce discours d’une jeunesse inouïe, Stéphane Hessel, alors âgé de 91 ans, rappelait cette distinction fondamentale à laquelle aucun régime, aucune institution, aucun gouvernement n’échappent : celle de la légalité et de la légitimité.
Il arrive en effet qu’elles s’opposent, parfois si dangereusement, parfois si cruellement, qu’une indignation surgit, qu’une résistance naît. D’Antigone à De Gaulle, c’est la conscience, elle seule, qui alors s’interpose, au point d’entraîner une solitude que peu comprennent, dont la plupart se moquent, jusqu’à vouloir la supprimer, par tous les moyens. Cette conscience est une citadelle. C’est l’espace de l’homme, l’espace de la femme, leur plus qu’insaisissable assise : le partage de l’amour, non de la haine. Stéphane Hessel donnait, ce 17 mai, un exemple récent, et tellement barbare, et tellement brutal : celui du dénommé « délit de solidarité ». Lui, le témoin ébloui de la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en était atterré.
De cet atterrissage, de ce parachutage, la poésie veut rester solidaire.
Le 17 mai 2009, Stéphane Hessel prononçait son discours sous un parasol coloré, comme on en trouve sur les plages, tellement léger ! Quel parachute ! Quelle liberté ! Ô quelle enfance ! Le 17 mai 2020, Emmanuel Macron, président des parachutes dorés, des paradis fiscaux, paraissait, aux couleurs officielles de la France, un clown dérisoire, un pantin si puéril. Sarkozy avait lamentablement patiné sur le manteau neigeux des Glières, titubant, chancelant. Sur les pentes de l’Histoire, Macron, quant à lui, a chuté : la défaite qu’il célèbre le défait à jamais. Si, le 17 mai 1940, lors de la bataille de Montcornet, le Colonel Charles De Gaulle échoue en effet dans une contre-attaque, son esprit général, plus loin, se décide : vers la Libération, via la Résistance !
De la même manière que Leclerc avait choqué le monde en donnant comme horizon, depuis l’extrême Sahara lybien de l’hiver 41, la promesse du drapeau français flottant sur la cathédrale de Strasbourg, De Gaulle, ce jour-là, avait rêvé. Chacun, chacune, au fond de son cœur labouré, connaît son serment de Koufra. Jusque dans les plus grandes défaites, la perle rêve.
Le 17 mai 1940, une boussole était donnée. Une boussole imprenable. Elle allait s’exprimer à Bordeaux, résister à Londres, vaincre à Paris. Paris, 8 mai 1945. Oui. Paris, 8 mai 2020. Oui, mais. Montcornet, 17 mai 1940. Oui. Montcornet, 17 mai 2020. Non.
Le 27 mai, journée nationale de la Résistance
Le 27 mai, journée nationale de la Résistance, nous fêtons l’anniversaire de la réunion de la rue du Four, à Paris. Conseil des Jours Heureux. Premier Conseil National (et bien sûr clandestin) de la Résistance. Jean Moulin s’y trouvait, lui qui n’a pas parlé. Jean Moulin y rêvait, sans trêve. Que Lallement tombe, devant un tel Préfet. Le 15 mars 1944, était donc officiellement adopté le Programme du CNR, d’abord nommé « Les Jours Heureux ».
Le 15 mars 2020, juste avant le confinement, le premier tour des élections municipales avait lieu. Il résonne aujourd’hui comme le dernier acte politique de la France. À Bordeaux, le festival « Les Passagers du Réel » venait d’offrir, à la Bibliothèque Municipale, la projection des presque 4 heures de La Commune, de Peter Watkins, qui s’ouvre, en toute fin, sur le chant inoubliable du « Temps des Cerises ».
« Le Temps des Cerises », « Les Jours Heureux », jaunes, rouges, verts… Quelle éclosion ! Éluard chante : « Nous prendrons de vitesse l’aube et le printemps/Et nous préparerons des jours et des saisons/A la mesure de nos rêves. »
Dans mes vers, j’ose une couleur complémentaire : « Les Jours verts et Heureux ». C’est la couleur de mon amour. Grâce à elle, j’ai ouvert d’autres yeux. Sur la vie. Sur l’écologie. Sur mon corps. Sur l’Histoire. Sur ma mémoire. Sur la Terre. Sur le climat. Sur mon cœur. Sur toutes les voix qui aiment, qui résistent et qui aiment.
Pendant l’Occupation, le poète René Laporte recevait, avec son épouse, Renée, ses amis poètes dans leur belle maison des remparts d’Antibes, comme le note si bien Pierre Seghers, poète-éditeur des Poètes Casqués.
Pendant le confinement, des poèmes…
Pendant le confinement, des amis des Pyrénées m’envoyaient sur WhatsApp des poèmes qu’ils lisaient en plein air, au couvert des montagnes. Je leur envoyais des textes, ils me rendaient des voix. Non seulement les leurs, mais celles des gaves, des oiseaux, des pluies, des neiges. Parmi elles, des vers de René Laporte, envoyés par les airs, ont neigé dans ma vie. Ce ne fut pas Radio Londres, mais Radio Aste ! Publiés par Éluard aux Éditions de Minuit clandestines, je les cite librement, ces vers d’une « Écriture déliée » :
Paul Éluard
C’est la première fois que libre et librement…
Que libre et librement j’appelle à la révolte
Les amants, leurs regrets, les enfants, leurs jouets,
Et même la nature avec ce qui lui reste,
Le blé qui s’est caché, le fruit qui naît dans l’arbre,
Que libre et librement je peux dire, il arrive,
Ô fruit de la révolte, ô moisson des complots,
Ce jour enluminé qui viendra rendre au vert
Le droit d’être couleur et d’être aussi symbole.
Paul Roussy, le 18 mai 2020