Trois petits présidents

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Poème pour le 75ème anniversaire de la Victoire de la France
8 mai 1945 –8 mai 2020

à mon inconnue


Trois petits présidents suspendus au Triomphe

De la Libération, oui, trois petits cochons

Dont on ne tire rien que des caricatures

Voici donc le Huit Mai des petits présidents

Oui, le confinement a rendu plus lisible

Et plus risible aussi cette triple imposture

Aucun besoin de masque, il n’en existe pas

Contre la contagion des petits présidents 

Suspendus au Triomphe, ils avaient beau jouer

À dresser le menton, à redresser la tête 

On n’en voyait que mieux balancer leur silhouette

Comme on voit s’agiter des girouettes de foire

Fallait-il que ce fût un Huit Mai confiné

Pour voir enfin de près les petits présidents 

Jouer à la Victoire en balançant les dés 

De trois petits chevaux sur des plateaux de bois ?

Mais non, les trois petits cochons ne montent pas

Ils roulent dans la boue la Nation souveraine 

En osant pérorer comme l’oiseau picore

Çà et là le butin d’une miette de gloire

Heureusement l’oiseau de la Flamme Inconnue

Irradiant un foyer de ferveur continue

Continue de brûler la mèche interrompue

Par le vent désolant des petits présidents 

Oui mais, me dira-t-on, le Huit Mai, c’est sacré

Et c’est le président, même petit, qui sait

Représenter le mieux la Nation rassemblée 

Ah oui ? mais le Huit Mai, voyez-vous, c’est Pétain

Confondu, qui pendant cinq années continues

Représenta la France, et pis, collabora

À des révolutions nationales, nouvelles

Ne laissant de Verdun que le goût de la cendre

Soixante-quinze années, oui, autant de printemps

Ont depuis consumé la mèche solennelle

Et si nous avions eu un quinquennat de honte

Nous avons maintenant trois quinquennats d’oubli

Oubliés, les printemps de la Révolution

Clandestine des nuits, des éditions secrètes 

Des armes balancées autant que les poèmes 

Depuis le ciel d’Albion sur les cimes françaises 

Oubliés, les printemps de notre rue du Four 

Où brûla le pain chaud d’une Révolution  

Aussi vraie que la Voix dont Reverdy nous dit

Qu’elle est un four offert à brûler le réel 

Oubliés, les printemps des Jours verts et Heureux 

Les réconciliations sur le front des extrêmes 

Le Conseil National où brûla le poème

D’un Programme à venir, Résistance Française 

Aujourd’hui ce ne sont que conseillers en com

Histrions de l’Histoire, et conseils de ministres

Aux sièges à bascule, aux gestes ridicules

Philippe, éloigne-toi de la chaise curule

Tu t’es vanté de Rome, et Rome ne veut pas

De dictateur, sais-tu, Rome est républicaine

Allons, ne vante pas la virtus d’un virus

Car vois-tu, le courage est d’un autre poème 

Il est fait de ce pain des soignants quotidiens 

Pétri dans le pétrin de leurs précarités 

Lié à tous les blés des vies désargentées 

Dont l’or est plus précieux que l’or de l’Assemblée 

Il est le pain réel du pays rassemblé

L’Assemblée Nationale à laquelle aucun siège

Ne peut rester debout, sauf au seul privilège 

Que celui de tenir d’elle seule, son droit

Mais voici que le dos des petits présidents

Se cambre et improvise un profil maladroit

De droiture jouée quand joue la Marseillaise

Indomptable aux cochons, offerte à la Nation

Car oui, si le Huit Mai confiné, cette année 

A trahi l’illusion de petits dos arqués 

Devant l’Arc de Triomphe au désert consommé

C’est peut-être, ma foi, pour que soit consumé 

À nouveau le foyer de la Flamme Éternelle  

Demeurée l’Inconnue de trois dos souverains

Mais faisant souverain chacun des citoyens

Dans chacun des foyers de chaque dignité 

Car oui, si le Huit Mai confiné, cette année 

A trahi l’illusion de petits dos arqués 

C’est peut-être, ma foi, pour n’oublier jamais

Que la France a beau être un jour représentée 

Et même par trois fois de trois petits mandats

Elle est libre de naître ailleurs, et puis de n’être 

À aucun de ces dos mandatés souverains

Et, souveraine ailleurs, de s’éteindre à leurs pieds 

Car oui, si le Huit Mai confiné, cette année 

A raillé le Premier baptisé chamailleur 

Jusqu’à masquer les coups du préfet Lallement 

Et maintenir son siège au nom du déshonneur

C’est peut-être, ma foi, maintenant pour qu’on sache 

Qu’un Huit Mai confiné est un Jour Libre, ailleurs

Que les plus confinés étaient, dans ce Huit Mai

Trois petits présidents, dehors, et déserteurs 

Paul Roussy